Ce blog propose quelques-uns de mes textes et projets culturels : pièces sonores, rencontres et lectures publiques
dimanche, janvier 22, 2012
mercredi, janvier 18, 2012
Extrait de "Lisa", roman de Saïd NOURINE
I. Elle est dans un labyrinthe, le ciel est
noir de jais, bas, très bas au point qu’elle l’a, littéralement, au-dessus de
sa tête. Il y a des chiens partout, des chiens errants. Elle se sent
poursuivie, elle presse le pas, s’en sort mais se retrouve face à un mur de
papier journal. Derrière elle, dans un rectangle tracé à la craie blanche, une
femme, serrée dans une gangue, se tortille frénétiquement pour s’en débarrasser,
ses pieds ne quittant jamais le sol. On dirait qu’elle pleure. Machinalement, elle
se voile la face, se dandine au ralenti, et pleure pour de vrai. Elle avance
vers Lisa, lui portant son extrait d’acte de naissance, avec la mention
décédée. Lisa est stupéfiée de ce qu’elle voit, elle ne tient plus sur ses jambes,
c’est la paralysie. Alors, la femme se frotte contre elle, les yeux mouillés,
lui met un morceau de pain dans la bouche, un autre dans la main, et lui
apprend à danser, pas à pas.
Dès la première séance elle m’a annoncé la
couleur : J’ai peur de devenir folle. Pourquoi ça tombe sur moi ?! Elle
était en colère, et me demandait souvent si je la trouvais normale. Ses récits confus,
fantasques tenaient sur un fil, quand elle ne se murait pas dans le silence.
(...)
En
son absence, je songe à ses yeux vert opaline, à la sinuosité que dessine la
rencontre de son front avec la racine de ses cheveux, à sa peau délicate, ses
lèvres sensibles. Et l’envie de la caresser, de tenir son visage dans mes
mains, de lui chuchoter des mots tendres ou salaces, d’entendre sa façon
si particulière de dire j'en raffole, idiot, pour un oui ou pour un
non.
La
prochaine fois, elle sera encore plus ravissante, je la tiendrai par la taille,
on ira au Bar Déco. Il faut la faire rire. Prévoir qu’elle ne supportera
pas trop longtemps la fumée, sortir, prendre l'air, rester attentif à la
moindre de ses envies.
Début
juillet, elle est revenue, étincelante. Viens avec moi, on va à Salzbourg.
On s’installe dans la
maison de son père, murs hauts, sol carrelé. A l’époque on ne mettait pas de
joint, c’est plus joli. Au-dessus du piano, il y avait une belle gravure, Saint
Matthieu et l’Ange. Regarde bien, on dirait que l’ange va parler, j’aime
bien ce jeu entre le blanc du drap et le rouge de la tunique. Sinon fais comme
chez toi, mon père est en vacances. Le soir, entre autres, elle me lisait des
vers en allemand, l’après-midi, on se promenait dans son Mini Cooper.
Quartier libre le matin.
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